Jacques GERMAIN (1915-2001)
Très tôt défendu par Jean Grenier, la peinture Jacques Germain s’inscrit dans le vaste mouvement de l’abstraction lyrique qui se développe après la guerre. Laissons la parole à l’écrivain philosophe pour évoquer les débuts de l’artiste : « Et lui, dès l’âge de seize ans, cédant aux suggestions de ses parents qui voyaient accompli le déclin des Beaux-Arts, est entré dans ces écoles où l’art se renouvelait au contact de la science et de l’industrie, où l’affiche triomphait de la toile et l’épure du croquis … » (Catalogue Galerie Jacques Massol, 1959).
Dans un premier temps, sur les conseils de Blaise Cendrars, il étudie à l’Académie moderne avec Fernand Léger et Amédée Ozenfant (1931), mais dès 1932 il part en Allemagne et travaille au Bauhaus de Dessau avec Kandinsky et Albers.
En pleine montée du nazisme, il reçoit là l’enseignement le plus avant-garde qui soit, se mêlant sur le terrain aux expériences et découvertes plastiques, assistant à la naissance des théories les plus audacieuses dans une émulation intellectuelle rare, qui prendra fin avec les hostilités.
Il étudie la publicité et les arts graphiques à Francfort avec Baumeister. En 1936 le service militaire le rappelle en France, puis c’est la guerre, la captivité en Allemagne.
« Revenu de la guerre, je me suis vite aperçu que j’avais beaucoup à apprendre. J’ai commencé par la peinture figurative… Je ne suis pas devenu non-figuratif parce que je l’ai été toujours naturellement. Ainsi lorsque j’ai voulu m’exprimer, dire quelque chose de moi, m’engager, j’ai aussitôt ressenti le besoin de peindre sans montrer des objets, réels ou imaginaires … « Faites ce qui vous passe par la tête » me disait Léger … Ce beau conseil de liberté ne pouvait s’appliquer pour moi que par la non-figuration » (Entretien avec dix sept peintres non-figuratifs, Jean Grenier).
Germain peint alors dans une abstraction géométrique dont le caractère décoratif lui semble un risque. Dès 1947, il envoie une toile aux Surindépendants et participe à l’exposition de groupe « White and Black » avec Fautrier, Hartung, Wols, Mathieu, Bryen, Seuphor, à la Galerie des deux Isles où l’année suivante il fait sa première exposition particulière, préfacée par Marthe Robert, écrivain, qu’il a rencontrée au Bauhaus et qui est devenue sa femme.
On peut lire : « Ce qui frappe avant tout dans la peinture de Jacques Germain, c’est qu’elle est la restitution, sur le mode impersonnel, d’une épreuve affective, soumise en dernier ressort aux lois invariables de la peinture … ». Constatant que la magie de l’objet s’épuise et que la montée de l’abstraction est la conséquence de la régression accélérée de la pensée magique et fétichiste, elle précise : « Un tel refus … ne ressorti jamais dans la peinture de Jacques Germain à une détermination théorique ou à un parti pris d’agressivité. Il est à la fois traduction d’une conscience aigue de la dépossession des objets et moyens de défense contre lé dépossession. Mais ce qui importe surtout de voir dans cette peinture qui se maîtrise pour tendre à la rigueur, c’est qu’en redistribuant la lumière, en privant la couleur de son monde corporel conforme à la tradition optique, elle se restitue à elle-même une architecture et un ordre ».
Germain ne déviera pas de cet engagement, acquérant avec les années plus de liberté picturale, dans un éclatement coloré d’un extrême raffinement et un enchevêtrement apparent seulement de ses lignes verticales et diagonales organisées dans des faisceaux chatoyants, tantôt qui s’élargissent ou bien se resserrent et dont la maîtrise ne dessert nullement cette effusion, ce lyrisme qui lui est si personnel.
1946 est l’époque de sa grande amitié avec Antonin Artaud auprès duquel il se rend chaque jour, pendant une période, pour travailler à ses côtés dans une pièce du pavillon de la Maison de la Santé où il est interné.
En 1953, à l’occasion de son exposition à la galerie de Pierre Loeb, Charles Estienne écrit à propos de sa peinture : « Enfin, Germain est abstrait …mais il fait mieux encore : sur des rythmes simples, mais sans raideur, il pose de larges touches de couleurs pures dont la clarté mélodique …sait s’imposer à qui a l’oreille fine. Etape par étape, l’art de Germain a trouvé un ton dont la qualité et la modestie sont également exemplaires ».
Roger van Gindertael pointe avec sa lucidité habituelle, sa sensibilité alliée à sa grande connaissance de la peinture, ce qui fonde la peinture de Germain, dans ce texte de première importance :
« La poétique de Germain …s’appuie sur des qualités picturales …Sa peinture est, en effet, de substance savoureuse et ses harmonies colorées sont d’une complexité symphonique et d’une vibration tonale exceptionnelle … Non moins admirable que son métier et ses dons est la maîtrise avec laquelle il accorde ses élans lyriques à l’équilibre d’une composition dominée dans le moindre de ses détails et surtout aux constantes de son expression personnelle d’un mouvement intérieur à l’unisson des grands rythmes de la nature, non point visuellement remarqués et pittoresquement traduits, mais intuitivement perçus et manifestés par un acte pictural de participation. L’œuvre de Germain est une de celles, très rare encore, dans lesquelles s’affirme le dépassement de l’art abstrait conceptuel autant que celui des conventions figuratives, et qui retrouvent, à notre époque, par une voie naturelle le sens profond de la nature » (Les Beaux-Arts, Bruxelles, 1959).
Jean Grenier, quant à lui, écrit : « On est séduit dès l’abord par un foisonnement de tons … Il y a un jeu de transparences … au-dessous d’elles les couleurs vibrent, suivant des accords subtils et des harmonies raffinées … Ce sont ces carrés, ces losanges, ces trapèzes, ces rhombes qui se pressent en bataillons serrés et forment une texture substantielle … Toutes ces figures sont en mouvement dans une direction qui nous est suggérée plutôt qu’indiquée. Tout lyrisme digne de ce nom comporte sous-jacents, une ordonnance et un mouvement, une force intérieure … » (Texte pour exposition Galerie Jacques Massol, Paris, 1959).
Sources : L’Ecole de Paris, par Lydia Harambourg, Editions Ides et Calendes
Expositions personnelles (sélection)
- 1948 - Galerie des Deux Isles, Paris
- 1951 - Galerie Franck, Franfort
- 1953 - Galerie Pierre, Paris
- 1954 - Galerie Michel Warren, Paris
- 1956 - Galerie Michel Warren, Paris
- 1957 - Galerie Kaiser, Lausanne
- 1958 - Galerie Jacques Massol, Paris ; Galerie André Schoeller, Paris
- 1959 - Galerie Jacques Massol, Paris
- 1960 - Galerie Dina Vierny, Paris
- 1961 - Galerie Adrien Maeght, Paris ; Galerie Kriegel, Paris
- 1963 - Galerie le Divan, Paris
- 1964 - Galerie Melisa, Lausanne
- 1965 - Galerie Kriegel, Paris
- 1967 - Galerie Messine, Paris
- 1968 - Galerie Bongers, Paris
- 1974 - Galerie Sapiro, Paris
- 1980 - Galerie Coard, Paris
- 1984 - Galerie Coard, Paris
- 1986 - Galerie Jacques Barbier, Paris
- 1987 - Galerie Jacques Barbier, Paris
- 1988 - Galerie Arnoux, Paris
- 1989 - Galerie barbier, Paris
Expositions collectives (sélection)
- 1949 - Salon des Réalités Nouvelles, Paris
- 1951 - Salon de Mai ; « Tendances », Galerie Maeght
- 1952 - Salon d’Octobre
- 1953 - Prix Lissone, Milan
- 1955 - A.P.I.A.W Liège ; « Peintre d’Aujourd’hui France-Italie », Turin ;
« Le Mouvement dans l’art contemporain », Musée de Lausanne ; Prix Carnegie, Pittsburgh
- 1956 - Ecole de Paris, Galerie Charpentier ; Grands et Jeunes d’Aujourd’hui
- 1957 - Biennale de la Jeune Peinture ; « Germain-Debré », Galerie Warren ;
« Exposition international d’art abstrait », Galerie Creuze ; salon Comparaisons
- 1958 - « Cinq peintres abstraits », Galerie Birch, Copenhague
- 1959 - « Ecole de Paris », Mannheim
- 1962 - Musée de Verviers, Belgique ; « Trente six dessins contemporains », Galerie Massol, Paris
- 1965 - Biennale d’Alexandrie
Musées
M.N.A.M, Paris, M.A.M.V.P, Paris, Lille, Lausanne, Brême, Bergen Oslo, …
Bibliographie
- « Et Voici la rentrée des barbares », Charles Estienne, L’Observateur, 1953
- « Les Beaux-Arts », R. Van Gindertael, Bruxelles, 1959
- « Catalogue exposition de groupe à a Galerie Massol », Jean Grenier, Paris 1959
- « Entretiens avec dix-sept peintres non-figuratifs », Jean Grenier, Calmann-Lévy, 1963
- « L’art Abstrait en Europe », Michel Seuphor, Michel Ragon, Ed Maeght, 1973
- « Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs », Ed Bénézit, 1976
- « Regard sur la peinture contemporaine », G. Xuriguera, Editions Arted 1983
- « Jacques Germain », monographie, Editions Jacques Barbier-Caroline Beltz, 1990
- « L’Ecole de Paris 1945-1965 », Lydia Harambourg, Ides et Calendes, 2010